Croyez-vous que Mme Bovary ai existé ? Ou bien imaginez-vous simplement son histoire au fur et à mesure que vous la lisez ? Quelle différence cela fait-il ? Oui, après tout, quelle différence si elle a réellement existé ou bien si elle n'est que le fruit de millions d'imaginations ? (il doit bien y avoir eu des millions de lecteur de ce livre non ?). Qu'est-ce que cela changerait? Seriez-vous plus émus, ennuyés, endormis, passionnés si vous croyiez à son existence plutôt qu'à une simple fiction?
Dans Big Fish, le pêre mourrant de Ewan McGregor a raconté des histoires invraisemblables tout au long de sa vie. Son entourage a toujours pensé devoir soit croire soit ne pas croire ses récits. Pourquoi ne pas simplement les imaginer ? Vrais ou faux.
J'imagine très bien ce que je lis. Et si cela était vrai, ça n'y ajouterais rien. Je crois que je me plonge tellement dans mes lectures que ça ne fait pas de différences. Ainsi, lorsqu'on me raconte que la guerre de Crimée n'était pas terminée en 1985 et que russes et anglais continuaient de se mettre sur la gueule : OK. Pas de problème.
Qu'on me dise qu'il est possible de prévoir le futur et l'évolution d'une civilisation dans le temps à partir du moment où l'échantillon considéré (la civilisation donc) est suffisamment gros (on parle de millions d'individus) et que cette science, puisque c'en est une, s'appelle psychohistoire : OK. Aucun soucis.
Un apprenti mage a dans la tête un sortilège si puissant que s'il était prononcé, mêmes les mages les plus experts ne sont pas certains que la fin du monde en serait la seule conséquence ? Et cette histoire ce déroule sur un monde plat semblable à un disque ? Ce disque juché sur le dos de quatre éléphants eux mêmes installés sur le dos d'une gigantesque tortue naviguant dans l'espace ? Cool.
Sur l'écran, au cinéma, un lobbyiste me regarde droit dans les yeux et m'explique que fumer c'est la liberté, que le cheddar est plus nocif pour la santé que la cigarette ou encore que son métier est de parler comme Michael Jordan de jouer au basket ou Charles Manson de tuer ? Ça me va.
Un singe géant se retrouve au sommet de l'Empire State Building, attaqué par l'armée et incompris des hommes tout en protégeant un femme à la plastique de rêve (pour des critères humains) et qui, seule, le comprends. Pourquoi pas ?
Voyez-vous, je ne vois pas bien l'intérêt de croire quand on peut imaginer. Un ami vous raconte une histoire invraisemblable, quel besoin de le croire? Dès le début vous êtes prévenus Je te raconte une histoire, tu vas pas le croire
. Effectivement, je ne vais même as essayer de croire. Imaginer son aventure me suffit bien. Croire permettrait de gagner en véracité ? Mais on peut croire et se tromper. Alors qu'en imaginant, on profite autant des choses sans avoir la déception de l'erreur.
Enfin, vous l'aurez compris, je ne suis pas ce que l'on peut appeler un croyant. Particulièrement en matière de religion. Mais je commence à bien imaginer.
1 De pavece -
Et si nous avions besoin de croire ? J’entends d’être des croyants. Et si nous avions aussi prodigieusement besoin d’imaginer ? Donc de croire et d’imaginer ?
Que l’imagination soit importante, tu en sembles convaincu. Pour ce qui est de la croyance… Permets-moi de jeter deux éléments sur le tapis. Le premier, le but de croire est-il vraiment de gagner en véracité ? Le second, tu le soulignes en partie, pourquoi croire alors que l’on peut se tromper ?
Je ne peux m’empêcher de dissocier ces deux questions. Les lier me semble réducteur et relever d’un sophisme facile.
Si je crois, religieusement ou pas, j’accepte de recevoir quelque chose de quelqu’un et donc d’entrer en relation.
Pour croire, je dois, à un moment donné, m’en remettre à autrui. Parce qu’il a vu, parce qu’il sait ou que je lui fais confiance. Dans le fond, croire revient à aller jusqu’au bout dans la rencontre de l’autre. En agissant ainsi, j’accepte de me déposséder de l’image que j’ai de l’autre pour lui permettre de me révéler qui il est vraiment. Je lui permets de prendre place pleinement face à moi et d’« être », sans réserve quant à sa parole. Si la personne en face de moi « est » vraiment, la relation l’est aussi. Croire permet (cette parole n’engage que moi) de m’ouvrir pleinement à l’autre, à l’altérité sans la facilité de pouvoir m’en sortir indemne en cas de difficulté. Si je me trompe, cela me marquera et sera une étape de vie (souvent dure à avaler), avec le choix évident d’accepter de m’exposer à nouveau ou de ne plus dépendre de l’autre.
Croire n’a pas donc pour but ultime de gagner en véracité mais de vivre vraiment, sans doute parce que faire confiance est pour moi le seul pari qui vaille la peine. En me retournant, je suis forcé de constater que les évènements qui m’ont le plus marqués résultent de rencontres, heureuses ou malheureuses, réussies ou ratées (les quatre pouvant se combiner sans s’exclure).
Et l’imagination dans tout cela vas-tu me dire. Elle a sa place, toute sa place. Sans imagination, pas de vie. L’imagination est source de sensibilité. Celle-ci peut être déployée au travers des contacts avec l’autre. La cultiver (l’imagination) sans pouvoir l’ouvrir est plus pour moi source de souffrance qu’autre chose. Alors même qu’elle permet ou nourrit la rencontre et l’échange du vrai, par l’accès à l’autre dans ce qu’il a de plus sensible (l’art est là pour nous en donner un indice).
Pour ce qui est de croire en l’Autre, c’est aussi sans doute une affaire de rencontre, qu’elle soit inattendue ou recherchée. Et là, comme pour la rencontre de l’autre, ma liberté est totale. Heureusement…