Robert le ver de terre

Robert le ver de terre n'avait jamais voulu faire le tour du monde.

Cela n'était pas le projet de sa vie. Il y avait pensé pourtant, il avait imaginé ce qu'aurai été son voyage, chacune de ses étapes. Il aurait découvert les pays et leurs cultures, les us et coutumes des ses frères ver de terre de par le monde entier. Il aurait été intéressé, de façon évidente, car Robert le ver de terre, vous ne le connaissez pas vraiment encore, était un verre de terre cultivé. Son lieu de naissance même l'avait destiné à la culture ; il était né sous un beau sillon, net, tracé sans ambiguïté, dans une terre riche et grasse mais pas trop. Dans un champ bien exposé, sur le flanc d'une colline en pente douce, un champ qui faisait dire à son propriétaire qu'il s'agissait d'une " belle culture ". Robert le ver de terre était donc prédestiné à cette culture, si importante pour son peuple. Il avait, dès son plus jeune âge, cherché à découvrir les grands auteurs de son espèce et les avait tous lis, rapidement, d'autant plus rapidement qu'ils étaient peu nombreux. Peu de vers de terre avait eu la chance d'être nés sous d'aussi bonnes étoiles (Le peuple ver de terre étant le peuple élu, chaque ver de terre naissait sous le signe de plusieurs étoiles et non pas d'une seule, vulgairement), peu de vers de terre avait en fait écrit. Les plus grands artistes vers de terre n'étaient pas écrivains, ni peintres d'ailleurs, ni même compositeurs. Les plus grands étaient sculpteurs, ils taillaient à même la terre nourricière de véritables chefs-d'œuvre, des ouvrages de toute une vie. C'était là le plus gros de la culture ver de terre, une culture très underground en fait. Et Robert le ver de terre malheureusement restait insensible à tous ces épanchements créatifs en trois dimensions, il n'aimait lui que cette littérature ver de terre assez particulière, qui avait déjà donné de beaux morceaux, mais trop peu, il n'existait par exemple qu'une seule pièce de théâtre ver de terre, un grand succès d'ailleurs, joué chaque fois à guichets fermés, dont le titre, une fois traduit, donnerait quelque chose de la forme : " Une galerie pas comme les autres " ou encore " C'est pas pasque j'suis un blaireau que j'connais ces trucs-là ". La langue ver de terre est ainsi faite que ces deux traductions, non seulement sont tout à fait acceptables, mais également complètement équivalentes dans leur sens ver de terre. Bien sûr Robert le ver de terre avait lu ce chef-d'œuvre et l'avait apprécié à sa juste valeur, il avait même eu dans l'idée de le jouer mais la scène ne finalement pas autant que la lecture (Robert le ver de terre avait aussi essayé d'écrire mais s'était révélé réellement médiocre à cet exercice). Alors Robert le ver de terre avait lu, tout ce qu'il avait pu, et toutes ces années de lecture, il les avait passées pratiquement seul, il était devenu par la force des choses un ver solitaire. Mais cela ne l'avait pas affecté, absorbé qu'il était par ses lectures. Et c'est au cours d'une de ces lectures qu'il eut la révélation de sa vie, il découvrit dans Le guide du Creusard un pays qui l'émerveilla, empreint d'une philosophie sage et millénaire. Ce pays était la Chine et Robert le ver de terre eut immédiatement le désir de s'y rendre. Sans plus attendre, il prépara son baluchon où il rassembla ses ouvrages préférés, il y avait là " La galerie infernale ", " 30 cm sous terre ", " Les dents de la terre " où une taupe décime une colonie de vers de terre en vacances. Il dit au revoir à son chez lui et parti, une seule idée en tête : rallier la Chine quoi qu'il en coûte. Son chemin ? Il n'en avait qu'un en tête : le plus court. Robert le ver de terre décida donc de tracer tout droit à travers le globe terrestre. Il traversa les diverses couches géologiques du sol, passa à travers diverses duretés de terrain, de plus en plus dur le terrain toutefois, il arriva sur la roche, mais sa volonté était telle qu'il la perça et franchi tous les obstacles qu'il pouvait rencontrer. Le fait que la chaleur augmente ne l'inquiéta pas, Robert le ver de terre la mettait sur le compte de l'effort. Il avait tort malheureusement, cette chaleur n'était pas celle de l'effort, c'était la chaleur terrestre, celle du noyau de roche en fusion. Robert le ver de terre continua pourtant, il avança, et il grilla.

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