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Pluie

07 : 00

La sonnerie du réveil m'est particulièrement insupportable ce matin. J'abats ma main sur le pressoir dès que l'horrible son a pénétré la frontière de mon sommeil pour me projeter dans le monde réel. Avec lenteur, en prenant le temps de m'étirer langoureusement, je m'extirpe du grand lit. Il est bien vide ce matin, ma femme est partie. Déprimé, comme chaque matin de devoir quitter la douce chaleur des couvertures, je me rends dans la salle de bain. C'est le début du rituel quotidien, tout doit commencer ainsi, ou alors, cela signifie que je suis en vacances, ce qui n'est pas survenu depuis un certain temps. Le miroir, roi incontestable et sans pitié de la salle de bain, me renvoie une image qui me paraît presque étrangère. Je baigne dans un océan de fatigue et mon visage me le fait tristement comprendre. La faible lueur de mon regard ne parvient pas à éclairer cette figure qui ne devrait pas être la mienne. Il est vraiment temps que je fasse une pause, un longue pause. Sans y penser, par automatisme, j'entre dans la douche, ou plutôt, mon corps y entre, car mon esprit est, pour le moment, encore sous de chaudes couettes (vides certes, ma femme est partie comme je l'ai déjà mentionné, mais chaudes tout de même). Le violent jet d'eau brûlante ne m'extirpe qu'à moitié de cet état second. L'autre moitié persiste à conserver sa tranquillité. Certains jours, elle persiste toute la journée. Douche, rasage, caleçon, chaussettes, chemise, pantalons, cravate, veste, chaussures (un modèle tout neuf, à 1500 francs). Je suis prêt, et mon esprit est parvenu à récupérer son intégrité. Dommage, lorsqu'une des moitiés reste endormie, je souffre moitié moins. Un rapide coup de peigne achève le rituel matinal, opération primordiale pour entrer dans le monde et perdre petit à petit toute conscience de soi-même. Je ne suis plus un individu mais un modèle décliné à l'infini. Je dois me dépêcher. Dehors, mes semblables m'attendent.

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